Intervention au Conseil de sécurité de Mme Rabia Djibo Magagi 
Coordinatrice de l’Alliance pour la Paix et la Sécurité – APAISE – Niger 
Membre de la Coalition citoyenne pour le Sahel 
7 juillet 2022 


« Monsieur le Président,  
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil, 

Permettez-moi de remercier le Brésil pour cette invitation adressée à la Coalition citoyenne pour le Sahel. 

En janvier dernier, c’était ma sœur burkinabè Cécile Yougbaré de Médecins du Monde qui était ici pour porter notre appel à un changement radical de stratégie au Sahel afin de mieux prendre en compte les besoins des populations. 

Six mois plus tard, la situation s’est grandement détériorée pour les femmes, les enfants, et tous les civils, dans mon pays le Niger, mais aussi au Burkina Faso et au Mali, les 3 pays du Sahel central qui sont les plus frappés par le conflit. 

On vient d’entendre un tableau sombre de la part de Son Excellence Mahamet Saleh Annadif et les autres intervenants. 

Permettez-moi d’ajouter quelques données tirées du rapport de suivi de la Coalition Citoyenne que nous venons de publier le mois passé à Dakar :  

  • Dans nos 3 pays, en moyenne 8 civils sont tués chaque jour dans des violences liées au terrorisme  

  • Au Mali, au Burkina Faso, au Niger, on parle beaucoup de « montée en puissance » de nos armées. Cependant nous assistons impuissants, aux massacres des populations civiles qui se multiplient de façon exponentielle. Depuis 1 an, le nombre de civils tués par les groupes extrémistes a doublé ! 

  • Le petit point positif est que le nombre d’exactions attribuées aux forces de défense et de sécurité est en baisse de 11%, même s’il reste encore trop élevé.  

  • En tous cas, chaque massacre met plus de personnes sur les routes. Ces personnes n’ont plus accès à leurs terres pour l’agriculture qui est leur activité principale. Nous serons bientôt dans la période de soudure entre 2 récoltes. Et on annonce 10 millions de personnes qui sont confrontées à l’insécurité alimentaire au Sahel central. C’est 60% de plus que l’année dernière 

Beaucoup de bonnes volontés se mobilisent pour nous aider. 

Notamment vous, Mesdames et Messieurs membres du Conseil de sécurité des Nations Unies, et nous vous remercions pour vos efforts.  

Cependant force est de constater que ce n’est pas suffisant. Il va donc falloir commencer à faire les choses différemment. Sinon on va au-devant de problèmes multidimensionnels. Nous le disons depuis des années mais personne n’a voulu nous écouter

C’est d’ailleurs pour ça que nous avons créé la Coalition Citoyenne pour le Sahel, qui réunit plus de 50 organisations de la société civile de la région : pour que notre voix porte plus fort et là où il faut. Ma présence devant vous aujourd’hui est la preuve que nous commençons enfin à être entendus. 

Faire les choses différemment ça veut dire quoi ? Cela voudrait dire qu’il faut mettre la protection des populations au cœur de toute réponse à la crise sécuritaire dans ces 3 pays. 

Il y a quelques temps, on a vu notre président nous annoncer qu’il avait acheté des hélicoptères à la Turquie pour combattre les terroristes et sécuriser le pays. Cela est bien sûr rassurant du point de vue militaire. Cependant étant moi-même professeure d’Histoire Géographie à Niamey, je suis chaque jour peinée de voir mes élèves suivre les cours sans table-banc. Imaginez, ils doivent s’asseoir sur des sacs en toile pendant la classe ! 

Donc faire les choses différemment, c’est se poser la question de savoir où il est le plus urgent d’investir. Dans une réponse principalement militaire, dont on voit aujourd’hui clairement les limites ? Ou bien dans l’éducation de nos enfants, qui ne vont plus à l’école à cause du conflit ? Ou encore dans nos centres de santé qui sont soit fermées, soit de plus en plus vides faute des médicaments ou des soignants ?  

Notre slogan à Apaise Niger, c’est : 

« Sans les jeunes, point de paix durable  

Sans les femmes, point de paix véritable » 

Je félicite le Brésil de s’engager pour l’agenda femmes, paix et sécurité. 

Parce que les femmes sont parmi les premières victimes du conflit. Mais en fait, elles ne sont pas que des victimes. Elles font aussi partie de la solution, si elles sont bien sûr impliquées et ont accès aux sphères de décisions. Mais pour l’instant, elles ne participent à rien ou presque.  

Prenez l’exemple de mon pays le Niger : il y 8 régions. Avec à leur tête 8 gouverneurs, tous des hommes. L’une des mesures d’état d’urgence est le couvre-feu décrété dans 4 régions. Ça veut dire qu’une femme enceinte qui commence le travail pendant le couvre-feu ne peut que difficilement accéder à un centre de santé. A mon avis, une femme gouverneure serait plus sensible à ces questions.  

Et aussi, les parlementaires qui votent l’état d’urgence, le reconduisent sans une réelle évaluation de l’impact sur les civils en général et sur les femmes en particulier.  

A Apaise-Niger, nous renforçons les capacités des enseignantes, des femmes prêcheuses, et des leaders traditionnels aux questions de cohésion sociale, de la prévention et de la lutte contre l’extrémisme violent. 

Notre conviction est que c’est par le dialogue et la médiation qu’on parviendra à ramener la paix dans nos pays, et non pas par les armes ou par des sanctions qui affaiblissent les populations déjà meurtries. Je me réjouis d’ailleurs que la CEDEAO ait levé les sanctions qui frappaient durement les populations frères et sœurs du Mali. Ceci est une décision digne de ce qu’on appelle la « CEDEAO des peuples ». 

Le peuple sahélien se sent abandonné à son sort. De ce fait, nous avons besoin de vous, Mesdames et Messieurs du Conseil de sécurité, pour convaincre nos gouvernements que toute leur énergie doit être dépensée à mieux protéger les populations. Cela veut dire qu’il faut arrêter de parler d’éradiquer les terroristes. Ce qu’il faut plutôt éradiquer, ce sont les raisons qui poussent nos jeunes à prendre les armes et à aller tuer leurs frères et sœurs. 

Pour y arriver, il nous faut améliorer la gouvernance et l’accès aux services sociaux de base. Il faut lutter contre la stigmatisation et contre l’impunité, notamment celle dont bénéficient certains membres de nos forces de défense et de sécurité, parce que cela ne fait qu’entretenir le cercle vicieux de la violence. 

Notre rapport « Sahel : ce qui a changé » comporte des recommandations précises pour mettre en œuvre cette nouvelle réponse qui place les populations au cœur de toutes les décisions. 

C’est une boîte à outils pour vous et pour nos gouvernements. C’est maintenant à vous de vous approprier nos recommandations et surtout de les mettre en œuvre

Je vous remercie de votre attention. » 

Lien vidéo : https://media.un.org/en/asset/k1q/k1qo8lkq2s?kalturaStartTime=3440